Pour lutter contre la pollution plastique en mer Méditerranée, il est indispensable de comprendre les causes de ce phénomène. En dehors des caractéristiques géographiques et démographiques, les responsabilités du tourisme mais également du commerce international de déchets doivent être analysées avec attention.
Plusieurs facteurs expliquent la contribution de chaque pays à la pollution plastique en Méditerranée, notamment la quantité de plastique produite mais également la proportion de déchets plastiques mal gérés.
La Méditerranée est aujourd’hui l’une des mers les plus polluées au monde. Les quantités de déchets plastiques qui y sont déversées sont considérables : selon la méthodologie utilisée, entre 150 000 et 500 000 tonnes de déchets plastique arrivent en mer chaque année (soit environ 66 000 bennes à ordures), ainsi qu’entre 70 000 et 130 000 tonnes de microplastiques. Par ailleurs, la Méditerranée est une mer semi-fermée. Elle présente donc une concentration en plastique des plus élevées, quatre fois plus importante que dans « l’île de plastique » du Pacifique Nord, d’après un rapport du WWF publié en 2019.
150 millions de personnes vivent sur les côtes méditerranéennes. A cela s’ajoutent les 200 millions de touristes, dont le séjour se manifeste par une augmentation très significative de la pollution marine pendant l’été, comprise entre +40% et +200% selon les études. La plupart du temps, ces chiffres ne prennent en compte que la pollution “visible” par les plastiques (bouteilles, débris, etc.) Il faudrait également prendre en compte l’augmentation des flux de microplastiques générée par le tourisme.
On estime que 80% (en poids) des déchets marins solides seraient d’origine terrestre, et que 20% résulteraient des activités marines (pêche, aquaculture, transport maritime, etc.). Au niveau mondial, une grande partie de ces déchets est constituée de plastique.
S’il est difficile de connaître la nature des déchets présents en pleine mer et au fond de l’eau, le littoral est une interface entre terre et mer facilement accessible et qui permet d’avoir une idée des types de déchets pouvant potentiellement entrer dans les écosystèmes marins méditerranéens.
De nombreuses initiatives portées par des ONG ou des chercheurs ont visé à collecter et identifier les déchets qui jonchent les plages méditerranéennes. Des analyses ont été menées par différentes associations sur différents périmètres de la Méditerranée. Quelles que soient ces études (Initiatives Océanes de la Surfrider Foundation, ou Brand audits menés par des ONG du mouvement Break Free from Plastic au Maroc, en Tunisie et au Liban), le constat est sans appel : entre 70 et 85% des déchets présents sur les plages sont des déchets plastiques.
Quant à la nature des déchets en plastique retrouvés sur le littoral méditerranéen, s’il n’y a aucune étude couvrant l’intégralité de la région, les résultats des différentes analyses menées par Initiatives Océanes, International Coastal Cleanup, BlueIslands et Break Free From Plastic sur différents périmètres du pourtour méditerranéen, font la part belle aux produits suivants : les mégots de cigarettes, les bouteilles de boisson et leurs bouchons, les sacs plastiques, les emballages alimentaires (biscuits, snacks…), les filets et autre matériel de pêche, les pailles et la vaisselle jetable, les coton-tiges, les bâtonnets de sucettes, les fragments de polystyrène et de plastique. Des déchets clairement issus de la consommation courante sur la terre ferme. Ces produits sont présents dans des proportions différentes en fonction des pays, des saisons et des méthodologies d’analyse utilisées, mais ils tiennent toujours le haut du tableau.
A cela s’ajoutent les microplastiques dont l’origine est multiple, puisqu’il s’agit soit de morceaux de plastique charriés par les fleuves et décomposés sous l’action de divers facteurs (oxygène, UV, chaleur, actions mécaniques ou biologiques), soit de microplastiques présents dans certains produits industriels ou de consommation courante, notamment les cosmétiques ou les textiles synthétiques et qui se retrouvent également dans les eaux grises, ou encore de l’usure des pneus.
Les contributions des différents pays de la Méditerranée à la pollution plastique marine sont très hétérogènes et difficiles à mesurer. Les études, qui présentent des méthodologies et des périmètres variés, ne s’accordent pas toutes sur les estimations de ces contributions. Il faut donc manier ces résultats avec précaution.
Les raisons qui expliquent les disparités entre les pays sont multiples. Au Nord de la Méditerranée, les pays européens (tels que la France, l’Italie et l’Espagne) importent, exportent et consomment plus de plastique qu’au Sud et à l’Est de la Méditerranée. Mais pour certains d’entre eux, leur contribution à la pollution plastique est moindre car le traitement des déchets plastiques semble relativement performant. Un second groupe de pays (Maghreb, pays de l’est de l’Europe et de la Méditerranée) consomme moins de plastique et contribue moins à la pollution plastique. Enfin, un troisième groupe de pays, composé de la Turquie et de l’Egypte, contribue fortement à la pollution plastique en Méditerranée. En ce qui concerne l’Egypte, qui importe et exporte peu de produits plastiques comparativement aux pays européens et à la taille de sa population, l’explication réside principalement dans la faiblesse de ses filières de traitement de déchets et de traitement des eaux usées.
Si à première vue la qualité de ces filières explique en grande partie les contributions nationales à la pollution plastique en Méditerranée, le cas de la Turquie illustre l’importance des effets du commerce international de déchets plastiques. En France par exemple, environ la moitié des déchets plastiques “recyclés” sont envoyés dans d’autres pays, car considérés comme de mauvaise qualité ou de faible valeur. A l’inverse, la Turquie importe de très grandes quantités de déchets plastiques, et notamment des déchets provenant des pays européens. Depuis le 1er décembre 2018 et la fermeture des frontières chinoises aux importations de déchets plastiques, la Chine étant jusqu’alors le premier importateur mondial, le commerce international relatif à ces marchandises a été complètement bouleversé. Ceci a eu lieu au détriment des pays de l’Asie du Sud-Est mais également de la Turquie, qui a vu ses importations de déchets plastiques augmenter de près de 70% en seulement un an. Parallèlement, seulement 10% des déchets municipaux sont “recyclés” en Turquie, le reste étant mis en décharge.
Comme pour les émissions de gaz à effet de serre, la lecture des responsabilités change selon que l’on analyse les données au niveau territorial ou en prenant en compte le commerce international et les pollutions importées. De plus, si l’on considère les conséquences environnementales et sanitaires des pollutions plastiques, on se retrouve donc une nouvelle fois dans une situation d’inégalité environnementale selon une ligne de fracture Nord-Sud.